Dans une tribune, François Hommeril, président de la CFE-CGC, réfute les arguments gouvernementaux sur la nécessité de réformer urgemment les retraites, pilier de notre protection sociale.
Notre système de retraite, pilier de la protection sociale, interagit avec de nombreux paramètres sociaux, économiques et démographiques, tant présents que futurs. Toute réflexion sur son futur nécessite donc une approche globale qu’il est important d’illustrer d’exemples.
La vision de son avenir doit être construite sur des éléments objectivés et non sur des principes dogmatiques ou des slogans. « On vit aujourd’hui plus vieux, il est donc normal de travailler plus longtemps » est une contre-vérité puisque l’espérance de vie stagne depuis 2014. Quant à sa projection future, déterminant majeur des dépenses de retraite des prochaines années, elle doit d’abord être estimée à partir des facteurs qui la déterminent comme l’investissement dans le système de santé, le niveau des pollutions environnementales et les effets du Covid, plutôt qu’en prolongeant en aveugle les tendances de long terme passées qui mènent à projeter une hausse future de l’espérance de vie d’un an tous les dix ans qui paraît bien loin d’être acquise.
La propension toujours marquée de nombreuses directions d’entreprises à se séparer de leurs salariés seniors avant leur départ en retraite conduit à ce qu’en cas de report de l’âge légal de départ, les dépenses d’assurance chômage et des régimes d’aides sociales (en particulier de prévoyance, le risque d’incapacité, invalidité et décès survenant de façon accrue sur les dernières années de travail et de façon exponentielle au fur et à mesure de l’avancée dans la soixantaine) augmenteraient et viendraient donc annuler une grande partie des « économies » réalisées par le système de retraite.
LA CFE-CGC OPPOSÉE À UN RECUL DE L’ÂGE LÉGAL QUI PÉNALISERAIT UN GRAND NOMBRE DE SALARIÉS
Les positions et propositions de la CFE-CGC résultent de cette analyse prospective globale. L’âge légal de départ à 62 ans (et 60 ans pour les carrières longues) demeure adapté et n’a pas lieu d’être relevé pour des raisons économiques, le Conseil d’orientation des retraites (COR) ayant conclu dans son rapport de juin 2021 que « la part des dépenses de retraite dans le PIB resteraient sur une trajectoire maîtrisée à l’horizon de la projection, c’est-à-dire 2070 ». La CFE-CGC est opposée à un recul de l’âge légal qui pénaliserait un grand nombre de salariés, au premier rang duquel les femmes ayant eu des enfants, et qui priverait beaucoup d’autres de la liberté de choisir leur âge de départ.
PRENDRE EN COMPTE LA PÉNIBILITÉ ET LES CONDITIONS D’EMPLOI DES SALARIÉS EN FIN DE CARRIÈRE
La prise en compte de la pénibilité et les conditions d’emploi des salariés en fin de carrière demeurent un sujet majeur de négociation à engager rapidement. Il faut renforcer les mesures visant le transfert de compétences des salariés seniors vers les plus jeunes et des formes de travail partiel préservant la santé des seniors. À ce titre, la CFE-CGC se félicite de sa victoire récente pour le bénéfice de la retraite progressive au profit des salariés en forfait-jours.
La capacité de l’économie française à financer notre système de retraites est réelle et doit donc être préservée au service de la confiance de nos concitoyens. Aucun système de retraite ne peut corriger après coup toutes les anomalies qui prennent naissance dans la période d’activité. Il convient donc de les traiter à la source. Il doit ainsi être mis fin à la croissance non contrôlée du recours au statut de micro-entrepreneur (travailleurs des plateformes notamment) qui, au-delà de la précarité de tels emplois et de la faiblesse des droits acquis, prive notre système de retraites de ressources.
FAIRE ÉVOLUER RAPIDEMENT NOTRE MODÈLE D’ENTREPRISE ET SA GOUVERNANCE VERS PLUS DE RESPONSABILITÉ ET DE DURABILITÉ
Plutôt qu’une réforme des retraites menée à la hussarde, il serait bien plus utile et efficace de faire évoluer rapidement notre modèle d’entreprise et sa gouvernance vers plus de responsabilité et de durabilité (ce que n’a pas permis la loi Pacte de 2019), ce qui aurait un effet indirect déterminant sur le financement de notre protection sociale. En permettant un meilleur partage de la valeur et un accroissement de l’investissement, en particulier dans les transitions écologique et numérique et pour une autonomie stratégique recouvrée, une telle réforme créerait des emplois et augmenterait donc l’assiette des cotisations sociales qui sont la base des ressources de notre système de retraites.
Face au constat que l’économie française finance chaque année la retraite de nos « amis anglo-saxons » à hauteur d’environ 30 milliards d’euros (via les dividendes versés par le CAC 40 à leurs fonds d’investissement), il est urgent de pouvoir mettre en œuvre une telle réforme qui profitera aux salariés dans leur vie active et pour leur retraite.
NE PAS ASSIMILER NOTRE SYSTÈME DE RETRAITE À UNE ANNEXE DU BUDGET DE L’ÉTAT
Enfin, la CFE-CGC refuse l’assimilation de notre système de retraite à une annexe du budget de l’État et de faire du niveau des pensions une variable d’ajustement budgétaire. Notre système de retraite des salariés du privé, basé sur un régime par annuités (la CNAV) et un régime complémentaire par points, permet de bien lisser certains aléas de la vie personnelle ou professionnelle et doit donc être préservé.
La CFE-CGC reste disposée à discuter de possibles ajustements sur la base d’un diagnostic objectivé.
François Hommeril, président de la CFE-CGC.