La crise a donné naissance à de nouveaux profils de salariés. Entre les fans du bureau et les aficionados du télétravail, de nouvelles attentes émergent, dont les entreprises doivent tenir compte, avant le retour au bureau. L’analyse de Flore Pradère, directrice de recherche chez JLL France.
Quels sont les principaux enseignements de votre étude sur l’expérience de travail post-Covid ?
Après un an de travail dégradé, le sentiment d’isolement, la difficulté à déconnecter, le manque de socialisation sont les nouveaux maux des salariés. Demain, les entreprises devront se mobiliser et les réenchanter. Mais quelles sont leurs attentes, en particulier vis-à-vis du bureau ? Pour y répondre, JLL a mené une enquête auprès de 2 033 salariés à travers le monde.
Elle révèle d’abord que 66 % des Français réclament un travail “hybride” au sortir de la crise. Elle nous apprend ensuite qu’il y a aussi un besoin de flexibilité, au-delà du télétravail : 70 % des salariés sont séduits par la semaine de 4 jours, et 74 % appellent de leurs vœux un meilleur équilibre de vie. Autre enseignement : les salariés restent globalement (66 %) engagés et productifs, en dépit de la crise. Pour autant, 45 % se disent désenchantés vis-à-vis de leur travail et de leur employeur : on est en train de voir se profiler une déconnexion entre l’engagement, presqu’imposé (face à la crainte de perdre son emploi), et le lien avec l’entreprise.
Notre étude souligne enfin l’importance du bureau, incontournable pour 3 salariés sur 10. Ce qui signifie que le télétravail ne convient pas à tous, et qu’il faut conserver des locaux. À noter que 61 % des salariés souhaitent revivre “des moments mémorables” avec leurs collègues. Il y a donc un fort besoin de liens informels. Des liens un peu perdus au bout d’un an de crise, dont les employeurs commencent à mesurer la valeur. Finalement, ces chiffres nous montrent que l’expérience de travail est loin d’être uniforme, et que demain, elle devra être à l’écoute des aspirations individuelles. Afin de leur apporter quelque chose de différent au bureau.
Vous avez retenu plusieurs profils de salariés nés de la crise. Quels sont-ils ?
Nous en avons identifié 4, en fonction de la fréquence de télétravail rêvée et du rapport au bureau de chacun.
Le travailleur traditionnel (35 % des salariés) souhaite un retour à la normale. Assez conservateurs dans leurs modes de travail, et malgré leur expérience récente du télétravail, ils ne souhaitent plus le pratiquer. Ils aspirent à travailler exclusivement au bureau. Pour eux, tout peut revenir à la normale ; à l’exception du rôle fédérateur du bureau, qui devra se renforcer. Leur priorité est de se reconnecter à leurs collègues, et pour eux, la socialisation passe par les locaux de leur entreprise.
Les “fans du bureau” (37 %), de leur côté, demandent à télétravailler 1 ou 2 jours par semaine. S’ils souhaitent retourner au bureau le reste du temps, c’est pour y vivre des expériences fortes avec leurs collègues. Le travail à distance, pour eux, c’est du confort. Mais le lieu de travail principal reste le bureau. Ils sont persuadés que c’est là que se tisse la culture d’entreprise, que l’on grandit, que l’on apprend et que l’on évolue. Sur site, ils aimeraient être “surpris et émerveillés”, au cœur d’un cadre plus sain. Par exemple, des jardins, des terrasses, des potagers…
D’autres salariés, en revanche, font passer le télétravail en premier…
“L’addict du bien-être” (22 %) est en quête de l’équilibre de vie parfait. Il demande à télétravailler entre 3 et 4 jours par semaine, car il est très centré sur sa qualité de vie. Il est important de préciser qu’au-delà de 3 jours de télétravail demandés, le centre de gravité du salarié concerné n’est plus au bureau, mais à son domicile. L’addict du bien-être est ainsi moins attaché à son entreprise. S’il revient sur site, c’est en tant que “consommateur” de bureau. Il vient pour consommer ce qui lui manque : des services auxquels il n’a pas accès depuis son domicile. Mais cette aspiration pour un bureau serviciel est générale : 71 % des salariés Français rêvent d’avoir accès à des services de bien-être (spa, massage, salle de yoga), 62 % à une salle de sport, et 59 % à des services culturels (organisation de visites / spectacles, expositions).
Le groupe restant, plus extrême, ne concerne que 6 % des salariés travaillant dans des bureaux. Nous les avons appelé les “télétravailleurs libérés”. Ils ont tout le profil de l’indépendant, mais avec le confort du salariat. Ce qu’ils achètent à l’entreprise, c’est la liberté. Déjà hyper-nomades avant la crise, ils profitent ainsi du boom du télétravail actuel pour exprimer leur appétit pour le 100 % distanciel. Ils sont dans une recherche totale de flexibilité : ils pourraient facilement déménager à la campagne, et ne retourner au bureau qu’épisodiquement, quand c’est nécessaire. Leur envie de ne plus se rendre au bureau est parfois motivée par une panique du virus, mais aussi par la recherche d’un meilleur équilibre de vie.
Ces typologies de salariés mettent finalement un coup de projecteur sur l’impérieux besoin de créer un bureau sur-mesure, à même de faire revenir tous les collaborateurs sur leur lieu de travail, une fois la crise derrière nous. Ainsi que sur l’importance, demain, pour les dirigeants comme pour les managers de revoir leur posture : ils devront être davantage flexibles, et bienveillants.
Fabien Soyez
Journaliste Web et Community Manager